Conversation avec moi-même : pour ou contre le motif léopard ?
Shopping edit en pleine conscience
Les liens entre mode et animaux sont devenus chez moi quelque peu obsessionnels. Par exemple, j’ai passé des mois et encore des mois à étudier le rapport entre les femmes, les plumes et les oiseaux dans la mode. De la femme du couturier Paul Poiret encagée durant une soirée en 1924, à Vanessa Paradis transformée en oiseau noir Chanel dans une publicité diffusée en 1991, l’esthétisation historique de la plumasserie et de ses volatiles m’a poussé à dédier une conférence au sujet des “Femmes-oiseaux”. Bien sûr, il n’y a pas que les oiseaux qui sont des alliés de la mode image. Les félins aussi sont en très, très bonne position, comme l’expliquera la chercheuse Elsa Chanforan dans le prochain épisode de mon podcast consacré aux rôles des animaux dans la mode. Ça, c’est pour la théorie. D’un point de vue plus pratique, j’ai toujours aimé porter une touche de léopard. Même si, à l’approche des beaux jours, je préfère la touche de zèbre. Mon coeur balance entre ces deux rois de la jungle au fil des saisons. Longtemps, je n’ai pas vu le dilemme. Mais, un jour de Fashion Week, alors que j’avais croisé cinq invitées vêtues d’un top léopard transparent manche longue en l’espace de deux heures, j’ai soudainement trouvé ce fameux imprimé beaucoup trop mainstream. Ensuite, j’ai cherché un top léopard transparent manche longue sur Mytheresa. Puis Vinted. Iro. Loewe. Maryam Nassir Zadeh x Ba&Sh. Même Skims x Dolce&Gabbana ! Finalement, j’ai abandonné la recherche. Et, enfin, je me suis dit que le motif léopard était en train de soulever en moi un vrai débat interne. Il méritait sa newsletter : pour ou contre le motif léopard ?
POUR
Si vous lisez “léopard”, vous pensez forcément :
Roberto Cavalli ;
Versace ;
Dolce & Gabbana.
(Si aucun de ces 3 noms ne vous est venu en tête, cliquez ici puis revenez.)
Difficile de citer un motif qui rehausse mieux un total look noir. Difficile, aussi, d’égayer son look autrement en hiver. En décembre 2024, InStyle Magazine titrait : “Le manteau léopard est le come back statement des Millenials”. Rien que ça. Le média américain parle de ‘come back’ car le manteau léopard a connu un précédent quart d’heure de gloire dans les années 2010. Et il est vrai que la vague indie sleaze commençait à nous manquer. Son style légèrement destroy car effortless correspond donc parfaitement à cet énième retour du léopard qui est, sans nul doute, le motif animalier le plus effortless. Comprendre : évident. La mode, qui se vante d’embellir le quotidien, a besoin d’évidences qui transforment la péjorative ‘simplicité’ en synonyme de ‘facilité’. La mode doit être en mesure de constituer un vestiaire facile sans pour autant nous restreindre aux éternels basiques noirs et blancs.
Dans l’imaginaire collectif bantou, le léopard renvoie à l’autorité naturelle et à la puissance physique. Un symbole guerrier qui se répand jusqu’en Occident, où les prostituées sont les premières à en détourner les codes. Et, depuis son apparition massive dans la mode féminine au tournant des années 50, c’est ce vecteur de force innée qui a été véhiculé, comme une sorte d’inversion silencieuse d’un stigmate social. Le léopard conférait automatiquement une puissance féminine qui n’était qu’occasionnellement accordée aux femmes.
Que cette puissance ce soit transformée en attribut sexy n’est en rien désespérant. Est bien plus désespérant le biais raciste qui apposait automatiquement des looks léopard sur des mannequins noires dans les 90’s, ou le raccourci entre léopard et blondeur en héritage des pin-up, elles-mêmes héritières des maisons closes. Au contraire, de ce prisme sexy, le motif léopard en est sorti gagnant. Chaque vêtement qui en était doté s’est transformé en message codé mais décodable, rendant la subtilité ennuyeuse. Si la situation laisse planer un doute, la tenue léopard l’évince. Lors d’une soirée vêtue d’une robe Roberto Cavalli automne-hiver 2015 : terminé le situationship. Avec le léopard : tout devient facile. Ce n’est pas pour rien que les costumières de cinéma y recourent afin de faire comprendre la scène aux spectateurs en une fraction de seconde, avant même le premier mot du dialogue. Par la multiplication de ses signifiés, le motif a ainsi quitté la catégorie emblème de mode pour atteindre le stade supérieur d’élément de la pop-culture. Celle-la même qui a fait endosser le manteau léopard à toutes les femmes puissantes, de Fanny Brice à Fran Drescher.
Ce motif est donc un véritable blockbuster, une fantaisie accessible à tous les coins de rue. Surtout en hiver. Je m’explique. Dans la mind map du lexique commun, du terme ‘sexy’ découle celui de ‘chaleur’. Le motif léopard, qui apparait dans les éditos de mode “Safari sexy” dès les années 60, est un emblème de la chaleur, qu’elle soit humaine ou environnementale. De plus, l’imprimé est inspiré du manteau léopard en fourrure de léopard, réputé pour tenir chaud comme tout manteau de fourrure. Ledit manteau étant désormais prohibé, seul son souvenir (en motif) évoque la chaleur. C’est en héritant de sensations naturelle ou provoquée que le léopard est devenu le motif privilégié de l’hiver : il compense visuellement une chaleur alors physiquement absente. La marque nordique GANNI ne s’y est pas trompée, créant une ligne dédiée aux vêtements léopard pour réchauffer les silhouettes scandinaves.
Tout ceci sans compter sur le fait que l’imprimé est constitutif de la mode contemporaine…et de l’ultra luxe ! En 1947, Christian Dior s’inspire des tendances fourrure de l’époque pour les détourner en un motif léopard sur ses fameuses robes New Look. Si, au moment de la présentation de la collection, la silhouette corolle a davantage retenu l’attention que le motif léopard, c’est parce que, pour les 1% qui constituaient alors la clientèle, le léopard n’avait rien d’extra-ordinaire. La preuve avec les looks de Mizza Bricard, créatrice et muse de Christian Dior à qui Maria Grazia Chiuri dédiera sa collection automne-hiver 2021-2022. En fait, à partir des années 40, la fourrure léopard faisait office de manteau de prédilection. On imagine l’état sauvage des vestiaires de galas dans les hôtels particuliers. Cette information est d’une importance capitale pour être en faveur du léopard. Car, en toute logique, on comprend que si le motif léopard a d’abord été un motif noble, alors ses connotations évolutives vers le registre du vulgaire ne sont autre qu’un moyen de ne pas le partager. De contrôler, par la critique, son ouverture au grand public dans les années 2000 grâce aux collections de prêt-à-porter de luxe. En gros, ce motif est victime d’une jalouse rétention par une toute petite partie de la population qui tente de faire croire aux 99% restant qu’ils sont vulgaires et bon marché. Sachant cela, porter du léopard revient à faire la révolution. À s’autoriser les mêmes valeurs pour tous. C’est en prenant conscience de ce conflit de classes autour du motif léopard que j’ai cliqué sur le bouton ‘valider mon panier Versace’.
Du fait même de ses origines nobles et conquérantes, le léopard gagnera toujours. Les autres motifs animaliers ne sont pas prêts de connaître une telle longévité dans nos vestiaires. C’est pourquoi je conclurai en disant qu’il faut acheter des pièces léopard chères. Investir, non pas dans un basique, mais dans une permanence.

CONTRE
Si l’on pousse les concepts cruelty free, anti-fur, ou encore anti-spéciste vraiment jusqu’au bout de la réflexion, alors on ne peut pas être pour le motif léopard. Pire : on ne peut pas être pour un seul motif animalier. Bien sûr, nous ne sommes plus dans les années 50. Ce qui signifie que le motif léopard n’est rien d’autre qu’un imprimé animal, jamais une véritable fourrure d’animal. Cependant, tant qu’il existera des représentations d’un animal mort (et les motifs en font partie, puisqu’ils évoquent la véritable fourrure), on ne se débarrassera pas de l’idée que la fourrure animale et les cuirs exotiques peuvent exister. En somme : que les animaux peuvent être exploités au profit du style et que les représentations (même indirectes) d’animaux morts sont stylées.
Mais l’extrême militantisme à ses raisons que la mode ignore et je ne suis pas une professionnelle de mode pour rien. Même si je ne peux me résoudre à renoncer aux motifs animaliers, je ne souhaite pas, non plus, que mon dressing ressemble à un bestiaire. Or, le léopard a tant été ressassé que son imaginaire tend à me désintéresser. Je ne parle aucunement de sa connotation vulgaire qui, elle, n’est pas méritée et lui confère au contraire un aspect disruptif si ce n’est séduisant. Je parle plutôt de sa prétendue originalité. De cet effet de surprise raté qui tente de faire croire que porter un manteau léopard ne revient pas à enfiler un duffle-coat ou encore qu’un t-shirt léopard rend plus excentrique qu’un débardeur blanc. Tout vêtement au motif léopard contient ce paradoxe d’être un basique pas vraiment basique. Même la pièce la plus originale, une fois flanquée du motif léopard, appartient à un imaginaire collectif ressassé sitôt qu’elle est créée. Bien sûr, il y a eu des tentatives de renouvellement. Comme lorsque les créateurs ont mixé le motif léopard avec une nuance qui, dans mon monde, est interdite : le fluo. C’en était trop.
En 2024, la tendance mobwife a tenté de nous faire croire que le léopard avait quelque chose de nouveau. Mais, son apparition cyclique depuis plus de 80 ans ne peut plus nous tromper. Son sort est d’être un marronnier des tendances, toujours adoré, certes, mais aussi exploré en long, en large et en travers. D’ailleurs, d’ici quelques semaines, le motif léopard sera à nouveau victime de son propre cycle. Retour à la case placard. C’est pourquoi, pour cette année, je parie sur une ouverture du bestiaire de la mode à des motifs encore plein de surprises, porteurs de créativité. 2025 sera l’année du dalmatien, du faisan doré, du Nessaea Obrina, de la vache, du Laticauda crockeri (noir),…
Dans un monde fini, où chaque espace a été visité par les humains, on ne pourra cependant pas s’attendre à une stupéfaction totale. Même sans savoir ce qu’est un Diamant de Gould, on serait toutes et tous en mesure d’y décerner un plumage de type perroquet. Tout simplement parce que le principe de création d’un motif animalier est de correspondre à un animal réel et donc de cadrer l’invention créative dans la limite de l’existant. Et, plus “l’existant” est synonyme de “rareté”, plus la mode est susceptible de s’y intéresser. La preuve avec la tendance du motif zèbre albinos. Bref, en 2025, on veut toujours d’une mode animale, certes, mais surtout d’une mode qui a du panache (tant qu’il est artificiel).
Merci pour ce post bien documenté !! Pour ma part c’est grand oui pour le léopard 😉