Conversation avec moi-même : pour ou contre le total look noir ?
Shopping edit en pleine conscience
À chaque fois que je fais du shopping, je me demande si la pièce que je convoite en vaut vraiment la peine. Suis-je aveuglée par la tendance ? À quoi d’autre pourraient me servir les 3400€ (!!!) que je suis sur le point “d’investir” dans ce sac de luxe ? Ces chaussures à 650€ sont-elles réellement confortables ? Quelle est la différence objective entre cette veste en cuir et celles qui se trouvent déjà dans mon dressing ? Mes shopping lists sont devenues de véritables dilemmes à grand renfort de ‘pour ou contre’ qui m’aident à y voir plus clair. Souvent, je m’en remets à la sociologie de la mode pour résister aux pulsions. Et, parfois, je repense à l’histoire de la mode pour passer à l’acte. S’interroger sur ce que l’on porte n’est pas une perte de temps. Au contraire, aujourd’hui plus que jamais, se soucier ou non de son apparence est un acte politique, créatif, citoyen, communautaire, écologique,… Cela fait bientôt dix ans que je travaille dans la mode et je reste convaincue par deux choses : 1) les vêtements sont faits pour être portés 2) on achète mieux et, surtout, on s’habille mieux en connaissance de cause. Le vêtement, ce message silencieux qu’on ne peut ignorer, est soumis aux mêmes règles que celles de la conversation : c’est toujours plus agréable quand on sait de quoi on parle. Alors, ici, dans ma newsletter, je poursuis ces conversations avec moi-même, trop longtemps cantonnées à mes notes d’iPhone remplies de wishlists curatées.
Bienvenue dans mon premier débat interne : le total look noir.
POUR
Le monde va mal. La mode est un reflet du monde (même si, elle, va plutôt bien). À l’heure du dérèglement climatique, de Donal Trump, des guerres, des masculinistes, du cyber-harcèlement et des péchés capitaux qu’on ne compte même plus… L’habit noir est de circonstance. Le flux continu d’informations nous fait vivre dans un deuil permanent. Un peu à la manière de Catherine de Médicis, vêtue de noir dès ses 40 ans parce que veuve et reine en pleine guerre des religions. Son style chronique a fait d’elle une monarque peu dépensière, ex aequo avec les rois, contrairement à une Marie Antoinette joyeusement déconnectée au Trianon. De tout temps, l’ambiance sociale impacte notre moral qui lui-même impacte nos choix vestimentaires. Le philosophe Georg Simmel disait d’ailleurs que les individus voués à évoluer en permanence “trouvent dans la mode le tempo des mouvements de leur âme.” En clair, consciemment ou non, notre outfit of the day reflète toujours un peu notre état d’esprit. Voilà pourquoi, ces dernières années, les couleurs sombres (et sobres) sont de plus en plus présentes dans nos placards. On veut se fondre dans le décor. Ainsi intervient à notre secours la radicalité d’un total look black, qui aura le mérite de laisser penser aux autres que l’on est décisionnaire de son style (de vie). Les vêtements noirs nous viennent d’un héritage gothique et du haut niveau de sophistication de ce mouvement stylistique apparu dans les années 1970. Le principe est de tout anoblir, jusque dans les moindres détails - de préférence apparents. Depuis les premiers gothiques, porter du noir est un gage de bon goût. Mais, aussi, un choix esthétique visant à exprimer une idéologie à la fois incisive et indolore. Puis, le minimalisme des 90’s y a ajouté la volonté de créer un style perspicace par-delà les tendances pour feindre la sobriété, à la manière de la it-girl Caroline Bessette. Sans la mode, le total look black serait resté marginal, alternant entre habits religieux (ou totalitaires) et costumes de sous-cultures. C’est parce que des créateurs, dont Chanel et sa petite robe noire, s’en sont emparés qu’il bénéficie d’un effet spectaculaire mais socialement validé. Grâce à Yohji Yamamoto, Rick Owens ou encore Helmut Lang, des influenceur.euse.s telle Brenda Hashtag peuvent désormais exister par la seule revendication d’une couleur. Mieux : le total look noir permet un semblant d’égalité. Il est évident que la couleur noire d’un top Zara sera toujours plus proche de celle du top The Row que la robe pastel Bershka ne le sera jamais d’une robe pastel Loewe. Personnellement, je pense que l’invention de couleurs destinées aux vêtements est un art réservé aux meilleurs studios de création de véritables marques de mode. Si vous en doutez, il suffit de repenser au coup de génie que fut le “Pink PP” de Valentino. Une fois débarrassé du nuancier Pantone au profit du noir, il faut encore se méfier car, contrairement à ce qu’un look monochrome peut laisser penser, l’important n’est plus la couleur mais la texture. Pour ne pas se tromper, le plus simple est de commencer par des looks de soirée. Robe en lycra et collants nylon se marieront toujours mieux qu’un pull en laine mélangée sur un pantalon en panne de velours. Outre ces considérations textiles, l’idée selon laquelle des vêtements noirs font toujours l’affaire a depuis longtemps quitté le domaine des croyances pour rejoindre celui de la science. C’est testé et approuvé par à peu près tout le monde : le total look noir est un allié de jour comme de nuit, entre mise en valeur de sa personnalité (disons, morose) et affirmation d’un style maîtrisé. En se détachant de la couleur, le total look noir propose une essentialisation de la mode en rien inintéressante. Pour contrebalancer la baisse d’intérêt que connaît la confection d’un vêtement face à l’évènementialisation grandissante du secteur, le total look noir attire l’attention sur la seule dimension matérielle de la mode. Terminés les logos, motifs influencés et autres références externes. En fait, porter du noir, c’est refuser de contribuer à l’infotainment.

CONTRE
En 2020, une étude britannique menée par le laboratoire de recherche du Science Museum Group révèle que le monde est dominé par les teintes noires, blanches et grises. En comparant 7000 objets du quotidien sur plus de trois siècles, les chercheurs se sont aperçus que le spectre de couleurs utilisées ne cessait de rétrécir depuis 1880, et ce malgré la présence sur terre d’Iris Apfel. Tandis que le marron et le jaune périclitent, seul le gris connaît une croissance constante. Pensez au téléphone ; passé du orange dans les 70’s au rouge dans les cabines londoniennes jusqu’au noir dans les 90’s. Désormais, les iPhones possédés par un milliard de personnes sur terre sont disponibles en 5 couleurs. Et la Toyota Corolla, voiture la plus achetée au monde, est vendue en 7 coloris différents. Cet homogénéisation affole l’artiste écossais David Batchelor qui a publié un manifeste sur la “chromophobie” occidentale. On se mettrait à voir en noir et blanc qu’on ne s’en apercevrait même pas. La preuve jusque dans nos vestiaires. En 2019, une étude commanditée par la marque de rasoirs BIC (allez savoir pourquoi) et menée par l'institut de sondage YouGov révélait que seuls 39% des hommes osent une touche de couleur dans leur tenue. Alors que le costume noir provient d’un héritage bourgeois tout droit venu des premiers notables et chefs d’entreprises - qui se sont eux-mêmes inspirés du noir symbole des travailleurs au Moyen-Âge -, ce sont les hommes issus des classes favorisées qui osent plus facilement porter des couleurs (et des accessoires). Mais, globalement, dans les placards masculins, on compte seulement 8% de manteaux colorés et 21% de pulls. Hors blanc, noir, bleu marine et gris, la fantaisie se limite aux chaussettes et sous-vêtements qui sont colorés à environ 40%. Deux constats s’imposent donc : les hommes ont des sous-vêtements d’adolescents jamais sortis de l’ère Pull-in et la couleur est un signe extérieur de richesse, d’où leur faible présence dans les uniformes, notamment ecclésiastiques. Tandis que le noir fédère, les couleurs boostent l’égo. C’est en somme ce que répète depuis des années John Galliano qui dit s’être inspiré de la grande renonciation à la parure (théorie historique, aujourd’hui contestée, relative à la chute du folklore textile) pour bâtir son style baroque. Bref. Entre les tendances gothiques dans la mode féminine et la sobriété des placards masculins, la palette chromatique n’est en rien festive et totalement formelle. Elle propose de se fondre dans la masse. Troquer le total look noir contre des vêtements colorés pourrait ainsi devenir un signe de protestation contre l’uniformisation esthétique de notre monde. Les couleurs, même lorsqu’elles sont douteuses, sont des excentricités réconfortantes car toutes personnelles.

En voilà qui en fait un merveilleux sujet de discussion sur lequel échanger en date ca évite les questions de style "interrogatoire"
Mais pour ma part je ne suis pas contre un total look noir comme il peut existe un total look rose, jaune, rouge, bleu etc.. noir étant une nuance, comme le blanc, ce n'est pas une couleur qui explose aux yeux au contraire je la trouve assez douce et peut se porter n'importe quand
Merci pour cet article ! La couleur nécessite une certaine éducation à ce qui nous va, je trouve. Cela semble plus difficile à maîtriser que le gris/noir/bleu marine.