Conversation avec moi-même : pour ou contre le look de noël ?
Shopping edit en pleine conscience
Il y a quelques semaines, une journaliste m’a demandé quel était mon conseil pour un look de noël réussi afin de publier ma réponse dans son magazine. Ma réponse étant : “garder son look de soirée habituel en y ajoutant des collants à strass.” Brillant, paresseux, premier degré, écologique, économe, accessible, effortless,… J’ai repensé à mon conseil mode pendant des jours - et pas parce que j’en étais fière. Puis, je me suis souvenue que l’an dernier, en me rendant à Londres pour un évènement Jimmy Choo, j’avais longuement flâné dans la boutique de souvenirs du Victoria & Albert Museum en attendant l’attaché de presse du musée qui n’est jamais venu à notre rendez-vous. Le temps que le ghosting soit officiel, j’en avais profité pour acheter un livre sur l’exposition en cours et…des collants à strass. Alors, un an plus tard, afin de vérifier la valeur réelle de mon conseil, j’ai enfin sorti les fameux collants de leur boite en carton V&A. J’ai enfilé mon “look de soirée habituel” et y ai “ajouté des collants à strass”. Plutôt pas mal. Jusqu’à ce que je m’aperçoive que les strass n’étaient positionnées qu’à l’avant du collant. Peu convaincue par cet effet face A/face B, je les ai retiré, ai enfilé ma jupe Jean Paul Gaultier et suis partie à la soirée GQ Men of the Year. Ce n’était certes pas une soirée de noël, mais ce bref essayage était suffisant pour me prouver qu’il était temps de se pencher sérieusement sur la question. C’est quoi un look de noël ? Comment s’habiller pour fêter la fin de l’année ? Est-on obligé d’en passer par-là ? En somme, est-ce qu’on est pour ou contre le look de noël ?
POUR
Il n’y a pas deux jours dans l’année où vous pourrez vous habiller comme ça. Si l’on considère sa fête de fin d’année comme un temps fort, la tenue doit être à la hauteur. Exactement comme lorsque l’on est demoiselle d’honneur, qu’on passe un entretien d’embauche, qu’on se rend à la salle de sport, qu’on se marie, qu’on arrive sur son nouveau lieu de travail suite à un entretien d’embauche réussi,… Je m’éloigne ? Pas tant que ça. Parce que si le “method dressing” (qui, visiblement, m’obsède au point que j’en parle à chaque invité de mon podcast) a envahi les stratégies hollywoodiennes, nous, la population, en sommes les premiers inventeurs. Le principe du method dressing est de prolonger l’existence d’un personnage de film en maintenant l’actrice dans son rôle via les looks qu’elle porte durant la phase de promotion sur les plateaux tv et tapis rouges. Tout le monde se souvient de Barbie en Margot Robbie. Mais, de tout temps, on s’est habillé en circonstances afin d’incarner pleinement un moment de vie. Donc, si le method dressing consiste à se vêtir de façon à faire corps avec sa propre actualité, vous avez le droit d’incarner vos fêtes de fin d’année. D’autant que la mode, pour être réellement appréciable, doit rester ludique. Or, c’est un aspect du vêtement qui, dans cet ère post quiet luxury, ne relève plus de l’évidence. D’où l’importance des périodes de fêtes d’un point de vue (à minima) vestimentaire. En 1940, le théoricien de la littérature Mikhaïl Bakhtine publie (en russe) un livre sur l’oeuvre de Rabelais dans lequel il présente son concept philosophique du carnaval. Puisqu’il a été traduit en français en 1970, on peut, depuis plus de cinquante ans, comprendre l’importance du carnavalesque dans nos vies et ses origines moyenâgeuses. Le carnaval a été une fête (de fin d’année - oh, tiens donc !) institutionnalisée pendant des siècles. Durant plusieurs jours, les gens s’habillaient de manière outrancière mais, surtout, en inadéquation avec leur statut social. Une paysanne allait se déguiser en princesse et vice versa, de sorte à se moquer de l’autre ouvertement tout en profitant, l’air de rien, d’incarner temporairement un rôle social différent. En bref, le carnaval sert à rêver une vie que l’on n’a pas en se mettant dans la peau de quelqu’un d’autre. Ce qui est, selon Bakhtine, socialement libérateur et fédérateur. Grâce au carnavalesque et à son exercice emphatique, on peut tester, dans la limite de la fantaisie, le renversement d’une société. Cette newsletter n’a évidemment aucune velléité insurrectionnelle. Mais, mes arguments pour le look de fêtes tiennent dans cette idée que la mode aide à ressentir les bienfaits du carnavalesque. En enfilant un look brillant, juste un soir, il devient possible de rêver un peu sa vie. Là où l’actualité et nos activités quotidiennes s’éloignent de la vie de rêve, la mode ludique pallie ce sentiment routinier. Je me permets néanmoins une précision cruciale : le pull de noël n’entre aucunement dans la catégorie ludique telle que je l’entends. La preuve dans Emily in Paris, saison 4 épisode 6. La mode ludique qui mérite son titre passe par des paillettes, une dose de kitsch, un mix&match douteux, un vêtement osé,… La mode ludique, c’est votre lune en sagittaire. Une part de vous qui ne s’exprime qu’en certaines occasions. Une fois cette parenthèse refermée, le carnavalesque moderne incarné par nos looks de fêtes mérite un dernier argument. En remontant les archives des photos de soirées des 2000’s, j’ai constaté que les looks de fêtes du passé ont pris des allures de déguisements dans notre présent. À partir de quand le top papillon signé Emanuel Ungaro de Mariah Carey ou encore la robe à sequins de Naomi Campbell, qu’elles ont vraiment porté pour se rendre à une fête, sont devenus des déguisements ? Comment a-t-on pu exclure de nos vies avec autant de résignation les vêtements qui incarnent la fête ? Dans la mode, on parle désormais d’une “Christmas Party season”. Ce qui, en comparaison avec le ‘printemps-été’ et ‘l’automne-hiver’, fait des tenues de fêtes la saison de mode la plus courte. Encore plus courte que celle des croisières qui s’étend à toutes les tenues de vacances d’été. La Christmas Party season est une milliseconde sur le calendrier de de la mode. Il n’empêche que les looks de fêtes ont tout même droit à leur moment. Roland Barthes disait que “le monde de la Mode, c’est le travail en creux.” Au-delà du désaccord évident après des années de travail dans la mode, je propose que nous reprenions le stigmate à notre compte pour affirmer que si la mode fait semblant de travailler, cela signifie qu’elle sait vraiment faire la fête. Alors, en portant un look festif, vous assumez un rôle social crucial : celui de rappeler que la fête n’est pas finie.

CONTRE
Quand on entend “look de noël”, on pense instantanément aux pulls à motifs, aux robes à sequins, aux chaussures à strass,… Bref, à tout ce qu’il n’est pas si aisé de porter au quotidien. Cela signifie que, bien souvent, si on craque pour un vêtement de noël, il a toutes ses chances de détrôner le collant dans la catégorie “à usage unique”. Vous ne le reporterez même pas pour votre 31 décembre parce que, à peine 6 jours plus tard, on a d’autres idées en tête. Or, quand on sait qu’entre 2016 et 2021 nous avons mondialement consommé 75% de tout ce que la population mondiale a consommé au 20ème siècle (en 100 ans, donc, et non en 5 ans), l’énième vêtement de fête de fin d’année a un je ne sais quoi hyper culpabilisant. Si vous n’êtes pas sûr de renfiler un jour ce pantalon à sequins, épargnez-le. S’ajoute à cet argument écologique un critère esthétique. Le Christmas outfit a tant été caricaturé qu’il est progressivement devenu un déguisement. Porter un look qui signifie ostensiblement que vous êtes en train de fêter noël (ou autre fête de fin d’année) revient à vous effacer derrière votre tenue et donc à annuler toutes les vertus d’un look de soirée. Puisque, c’est bien connu, quand on fournit un effort vestimentaire pour sa tenue de soirée, c’est pour être vu. Or, en portant un look de noël, on ne vous voit plus vous : on voit un thème. Quand je dois réfléchir à mes tenues de soirées, je pense aux tenues de Diana Vreeland. Des tonnes de bijoux et de maquillage sur fond de vêtements noirs et manteaux de fourrure pour se rendre dans des restaurants de palaces new-yorkais. Son quotidien est devenu notre exception. Et c’est bien là toute la morale de l’histoire. Parce que, pour ses soirées, époque galas oblige, Diana Vreeland enfilait une robe haute couture inabordable. Pas ses fameux total look noirs qui m’inspirent. D’autant que Vreeland vient d’une époque faite de réjouissances permanentes. À bien y réfléchir, c’est peut être même davantage son époque que la grande rédactrice elle-même que je fantasme sur mes moodboards. Moodboards qui ne peuvent être mieux résumés que par ce qu’a dit la journaliste Anne Rosencher l’autre jour sur France Inter : “la nostalgie est un point de repère.” En fait, j’ai l’impression que, des années 1960 aux années 1990, tout n’était que strass et paillettes. Mais, je me rassure, il s’agit d’un sentiment communément partagé, voire physiologiquement prouvé. D’ailleurs, dans les années 80, quelques chercheurs marxistes tentent de prouver qu’il n’existe que deux types de vêtements : ceux de travail et ceux de fêtes. Un point de vue légèrement radical qui amorçait cependant l’ère du vêtement utile, majoritairement dédié au travail et non aux plaisirs. Et la science des décennies suivantes abonde dans ce sens. En 2008, la psychosociologue Ginette Francequin, qui étudie alors les milieux ouvriers, propose de considérer l’uniforme (de travail) comme une seconde peau, comme un support du sentiment d’appartenance. Si l’on combine grossièrement les conclusions de ces différentes études, on obtient le résultat suivant : le monde est divisé en deux catégories sociales : ceux qui font la fête et ceux qui travaillent. Il faudrait à ce stade définir ce que signifie, vraiment, faire la fête, mais je m’éloignerais de mon domaine de compétences. En revanche, n’expérimentant pas non plus que le travail, je suis à peu près sûre que la fête rythme moins nos vies qu’à d’autres époques. Sinon, l’engouement pour les looks de noël et autre festivités serait moindre et cette newsletter n’aurait aucun intérêt. La preuve, après des jours passés à remplir de façon compulsive un panier shopping en ligne de tout ce qui brille, on finit souvent par opter pour une sage décision. On vide son panier et la “christmas party season” devient juste un bon prétexte pour renouveler sa robe en velours, son manteau edgy, ou sa paire d’escarpins. Tout ça pour dire que, si l’on faisait la fête plus souvent, on pourrait investir autrement la partie de notre placard dédiée à nos tenues de soirées. En terminant cette newsletter, je ne sais plus si je suis pour ou contre le look de fêtes de fin d’année. En revanche, j’ai relu assez d’articles scientifiques pour savoir que le vêtement de fête, afin qu’il existe à nouveau pleinement, devra passer par une phase de décontextualisation. Alors, autant être contre le look de fête et pour une ré-invention stylistique de nos vies. Ce n’est pas son dressing qu’il faut renouveler, mais son état d’esprit. Car, quand la vie est une fête, à quoi peut-bien ressembler un look de fête ? À tout ce que l’on veut.